Notre monde mourra-t-il de la complexité ?
Patrick JAULENT
Things should be made as simple as possible, but no simpler. Einstein
Le jeudi 5 juillet le BEA (Bureau d'enquêtes et d'analyses) dévoile le rapport final sur l'un des épisodes les plus curieux et sombres de l'histoire de l'aviation française: le crash le 1er juin 2009 du vol Air France 447 (Rio de Janeiro vers Paris). L'avion avait mystérieusement chuté d'une altitude de 35 000 pieds pendant trois minutes et demie, avant de heurter les eaux profondes de l'Atlantique sud : 228 personnes perdirent la vie. Près de deux années furent nécessaire pour retrouver l’épave à l'aide de sondes robotiques de l'Institut océanographique de Woods Hole (http://www.whoi.edu/page.do?pid=11795&tid=3622&cid=96089)
Qui est le vrai coupable ?
Les enquêteurs français identifièrent de nombreux facteurs, mais pointèrent du doigt l’erreur humaine. Leur rapport formula que les pilotes, bien que parfaitement formés, avait fatalement mal diagnostiqué les différentes alertes avant que l’avion se désintègre en heurtant la mer. http://www.bea.aero/en/enquetes/flight.af.447/flight.af.447.php
Avant ce fatal accident, l'avion avait traversé une série de fortes turbulences, provoquant une accumulation de glace entrainant le givrage des sondes Pitot chargées d’indiquer sa vitesse. Analysant la situation le pilote automatique (via son calculateur) redonna le contrôle de l’avion aux pilotes qui durent interpréter également une série de clignotants fournissant des informations contradictoires (je ne renterai pas dans le débat de savoir si le(s) pilotes étaient à leur poste de pilotage). Face à cette ambigüité, les pilotes semblent avoir appliqué les procédures apprises en formation ce qui ne fit qu’aggraver la situation. Ils décidèrent de monter afin d’éviter tous risques supplémentaires ce qui a ralenti la vitesse de l’avion entraînant son décrochage fatal. Tous les pilotes de ligne le savent, en cas de problème, ils doivent sortir leurs notices de « gros classeurs » afin de trouver la solution.
Voici leurs dernières paroles. http://www.popularmechanics.com/technology/aviation/crashes/what-really-happened-aboard-air-france-447-6611877
02:14:23 (Robert) Putain, on va taper... C'est pas vrai!
02:14:25 (Bonin) Mais qu'est-ce que se passe?
02:14:27 (Captain) 10 degrés d'assiette...
Moins de deux secondes plus tard, ils étaient morts…
Il existe une multitude de situations de ce genre ou la complexité est la principale cause de nos difficultés et de nos décisions inappropriées.
Prenez le cas de la langue française, nous avons une règle et de multiples exceptions. Les adjectifs de couleur prennent un « s » au pluriel sauf marron et orange. Pourquoi ? Bonne question ! De même, certains termes peuvent avoir les suffixes unt ou um, comme les mots défunt ou parfum. C’est rare nous disent les ouvrages sur l’orthographe.
On dirait que plus c’est complexe une situation, plus cela rajoute de la valeur (surtout en France). Etant persuadé que vous avez tous de nombreux exemples de facteurs de complexité, je pense que ces raisons sont ancrées en partie dans le caractère pernicieux de la complexité. En autres termes, dans la façon dont nous répondons aux risques.
Nous construisons des plates-formes pétrolières, comme celle de Deepwater, plus complexes et plus performantes. Cela a conduit à une catastrophe qui s’est terminée par la mort de 11 personnes et une marée noire de très grande ampleur dans le Golfe du Mexique et sur les côtes américaines.
Les banques affirment pour attirer les clients, qu’elles possèdent des systèmes de sécurité infaillibles. Mais chacune de ces fonctions de sécurité augmente la complexité du système dans son ensemble, via par exemple le nombre d’interactions possibles, attendues et inattendues entre les différentes composantes du système. Alors pour gérer cette complexité, rien de mieux que d’ajouter une nouvelle complexité via des normes, et comme le système évolue dans le temps par rapport à la publication des normes, on fait également évoluer les normes (Bâle I, Bâle II, Bâle III, Bâle 25 dans quelques années). Le chien se mord la queue !
Ces systèmes « infaillibles » n’ont nullement empêché l’affaire Kerviel, ni même celles de JP Morgan Chase et son opérateur Londonien, Bruno Iksil nommé la baleine de Londres, de faire perdre 2 Milliards de dollars à la banque. Alors puisque l’humain ne sait pas gérer les millions de transactions entre les systèmes pourquoi ne pas demander cela à des machines. Ainsi, les machines ont pris le pouvoir dans le monde de la finance avec des résultats « intéressants » : krach financier éclair du 6 mai 2010, Wall Street a plongé de 9% pendant 20 minutes - http://www.next-finance.net/Les-robots-ont-pris-le-pouvoir) Mais, ne vous inquiétez pas, les banques nous disent avoir sécurisés les « robots. » Quelle chance nous avons !
Il n’y a pas que le monde bancaire, prenez le cas du monde de l’assurance avec les nouvelles normes Solvency I puis Solvency II et sans doute dans quelques années Solvency 15 ! Certaines exigences sont si complexes qu’elles rendent la norme inapplicable en 2014 comme initialement planifiée (on va donc très certainement reculer la date de mise en application). De plus si l’on applique certaines exigences telles qu’elles sont définies aujourd’hui, de nombreuses sociétés d’assurance européennes seraient en dessous de leur seuil de solvabilité. Que fait-on alors ? Sans compter sur le fait que la crise est passée par là.
Est-ce bien raisonnable d’avoir une telle complexité dans des normes de référence qui ‘emboitent les unes aux autres augmentant ainsi la complexité (références françaises, européennes, internationales). La complexité ne fait qu’amplifier l’incertitude lorsque les choses tournent mal rendant la correction plus difficile. Ce clignotant d’alerte indique –t- il une véritable urgence ? Est-ce une fausse alerte ? Est-ce le résultat d’une situation que personne n’avait imaginée ?
Imaginez-vous face à des dizaines d’alertes en même temps et d’avoir à décider (rapidement) de ce qui est vrai et faux. Imaginez encore que vous ne fassiez pas le bon choix. Pourrions-nous vraiment identifier un coupable ?
En fait, comme la complexité de ces systèmes se développe, un petit événement au mauvais endroit, au mauvais moment peut déclencher une catastrophe.
La complexité est un danger pour les organismes publics et privés, et tout particulièrement pour le système financier mondial, car ils deviennent beaucoup plus difficiles à gérer, à gouverner, à auditer, à réglementer et à soutenir efficacement en période de crise comme celle que nous traversons. La complexité réduit toujours la vitesse à obtenir des réponses à des questions simples.
Malheureusement la psychologie humaine face aux risques ne fait qu’aggraver les choses. Les personnes qui attachent leur ceinture de sécurité en voiture (c’est une bonne règle simple) qui dispose d’airbags et de freins antiblocages font souvent preuve d’un excès de vitesse et d’une légèreté de conduite au volant (téléphoner, envoyer des SMS). Paradoxalement, ces personnes se sentent plus protégées que les autres et vont avoir plutôt tendance à violer les règles de circulation.
Les organisations ont une homéostasie toute particulière face au risque, exprimée à travers leur culture. Prenons l’exemple de BP, selon certains employés des cadres se seraient plus concentrés sur les dangers de ne pas avoir de couvercle sur une tasse de café plutôt que sur le risque d’avoir un matériel de piètre qualité (http://features.blogs.fortune.cnn.com/2011/01/24/bp-an-accident-waiting-to-happen/)
Au niveau du système financier, de nombreux dirigeants de banques soulignent l’excès de nouveaux règlements contradictoires et confus qui ne font qu’alourdir les tâches et finalement empirer les choses. L’ajout d’une nouvelle réglementation trop complexe au-dessus du système existant pourrait bien transformer les banques en un cockpit d’un avion condamné. Il est donc urgent, de procéder à une simplification des organisations et plus particulièrement de celle de la finance en évitant d’ajouter comme dans la langue française des exceptions. Sinon, nous nous retrouverons dans la même situation que celle des pilotes du vol AF 447. Relisez leurs dernières paroles (cf. lien en introduction)
« Si vous voulez entendre Dieu rire, faites-lui part de vos plans »
Qui est le vrai coupable ?
Les enquêteurs français identifièrent de nombreux facteurs, mais pointèrent du doigt l’erreur humaine. Leur rapport formula que les pilotes, bien que parfaitement formés, avait fatalement mal diagnostiqué les différentes alertes avant que l’avion se désintègre en heurtant la mer. http://www.bea.aero/en/enquetes/flight.af.447/flight.af.447.php
Avant ce fatal accident, l'avion avait traversé une série de fortes turbulences, provoquant une accumulation de glace entrainant le givrage des sondes Pitot chargées d’indiquer sa vitesse. Analysant la situation le pilote automatique (via son calculateur) redonna le contrôle de l’avion aux pilotes qui durent interpréter également une série de clignotants fournissant des informations contradictoires (je ne renterai pas dans le débat de savoir si le(s) pilotes étaient à leur poste de pilotage). Face à cette ambigüité, les pilotes semblent avoir appliqué les procédures apprises en formation ce qui ne fit qu’aggraver la situation. Ils décidèrent de monter afin d’éviter tous risques supplémentaires ce qui a ralenti la vitesse de l’avion entraînant son décrochage fatal. Tous les pilotes de ligne le savent, en cas de problème, ils doivent sortir leurs notices de « gros classeurs » afin de trouver la solution.
Voici leurs dernières paroles. http://www.popularmechanics.com/technology/aviation/crashes/what-really-happened-aboard-air-france-447-6611877
02:14:23 (Robert) Putain, on va taper... C'est pas vrai!
02:14:25 (Bonin) Mais qu'est-ce que se passe?
02:14:27 (Captain) 10 degrés d'assiette...
Moins de deux secondes plus tard, ils étaient morts…
Il existe une multitude de situations de ce genre ou la complexité est la principale cause de nos difficultés et de nos décisions inappropriées.
Prenez le cas de la langue française, nous avons une règle et de multiples exceptions. Les adjectifs de couleur prennent un « s » au pluriel sauf marron et orange. Pourquoi ? Bonne question ! De même, certains termes peuvent avoir les suffixes unt ou um, comme les mots défunt ou parfum. C’est rare nous disent les ouvrages sur l’orthographe.
On dirait que plus c’est complexe une situation, plus cela rajoute de la valeur (surtout en France). Etant persuadé que vous avez tous de nombreux exemples de facteurs de complexité, je pense que ces raisons sont ancrées en partie dans le caractère pernicieux de la complexité. En autres termes, dans la façon dont nous répondons aux risques.
Nous construisons des plates-formes pétrolières, comme celle de Deepwater, plus complexes et plus performantes. Cela a conduit à une catastrophe qui s’est terminée par la mort de 11 personnes et une marée noire de très grande ampleur dans le Golfe du Mexique et sur les côtes américaines.
Les banques affirment pour attirer les clients, qu’elles possèdent des systèmes de sécurité infaillibles. Mais chacune de ces fonctions de sécurité augmente la complexité du système dans son ensemble, via par exemple le nombre d’interactions possibles, attendues et inattendues entre les différentes composantes du système. Alors pour gérer cette complexité, rien de mieux que d’ajouter une nouvelle complexité via des normes, et comme le système évolue dans le temps par rapport à la publication des normes, on fait également évoluer les normes (Bâle I, Bâle II, Bâle III, Bâle 25 dans quelques années). Le chien se mord la queue !
Ces systèmes « infaillibles » n’ont nullement empêché l’affaire Kerviel, ni même celles de JP Morgan Chase et son opérateur Londonien, Bruno Iksil nommé la baleine de Londres, de faire perdre 2 Milliards de dollars à la banque. Alors puisque l’humain ne sait pas gérer les millions de transactions entre les systèmes pourquoi ne pas demander cela à des machines. Ainsi, les machines ont pris le pouvoir dans le monde de la finance avec des résultats « intéressants » : krach financier éclair du 6 mai 2010, Wall Street a plongé de 9% pendant 20 minutes - http://www.next-finance.net/Les-robots-ont-pris-le-pouvoir) Mais, ne vous inquiétez pas, les banques nous disent avoir sécurisés les « robots. » Quelle chance nous avons !
Il n’y a pas que le monde bancaire, prenez le cas du monde de l’assurance avec les nouvelles normes Solvency I puis Solvency II et sans doute dans quelques années Solvency 15 ! Certaines exigences sont si complexes qu’elles rendent la norme inapplicable en 2014 comme initialement planifiée (on va donc très certainement reculer la date de mise en application). De plus si l’on applique certaines exigences telles qu’elles sont définies aujourd’hui, de nombreuses sociétés d’assurance européennes seraient en dessous de leur seuil de solvabilité. Que fait-on alors ? Sans compter sur le fait que la crise est passée par là.
Est-ce bien raisonnable d’avoir une telle complexité dans des normes de référence qui ‘emboitent les unes aux autres augmentant ainsi la complexité (références françaises, européennes, internationales). La complexité ne fait qu’amplifier l’incertitude lorsque les choses tournent mal rendant la correction plus difficile. Ce clignotant d’alerte indique –t- il une véritable urgence ? Est-ce une fausse alerte ? Est-ce le résultat d’une situation que personne n’avait imaginée ?
Imaginez-vous face à des dizaines d’alertes en même temps et d’avoir à décider (rapidement) de ce qui est vrai et faux. Imaginez encore que vous ne fassiez pas le bon choix. Pourrions-nous vraiment identifier un coupable ?
En fait, comme la complexité de ces systèmes se développe, un petit événement au mauvais endroit, au mauvais moment peut déclencher une catastrophe.
La complexité est un danger pour les organismes publics et privés, et tout particulièrement pour le système financier mondial, car ils deviennent beaucoup plus difficiles à gérer, à gouverner, à auditer, à réglementer et à soutenir efficacement en période de crise comme celle que nous traversons. La complexité réduit toujours la vitesse à obtenir des réponses à des questions simples.
Malheureusement la psychologie humaine face aux risques ne fait qu’aggraver les choses. Les personnes qui attachent leur ceinture de sécurité en voiture (c’est une bonne règle simple) qui dispose d’airbags et de freins antiblocages font souvent preuve d’un excès de vitesse et d’une légèreté de conduite au volant (téléphoner, envoyer des SMS). Paradoxalement, ces personnes se sentent plus protégées que les autres et vont avoir plutôt tendance à violer les règles de circulation.
Les organisations ont une homéostasie toute particulière face au risque, exprimée à travers leur culture. Prenons l’exemple de BP, selon certains employés des cadres se seraient plus concentrés sur les dangers de ne pas avoir de couvercle sur une tasse de café plutôt que sur le risque d’avoir un matériel de piètre qualité (http://features.blogs.fortune.cnn.com/2011/01/24/bp-an-accident-waiting-to-happen/)
Au niveau du système financier, de nombreux dirigeants de banques soulignent l’excès de nouveaux règlements contradictoires et confus qui ne font qu’alourdir les tâches et finalement empirer les choses. L’ajout d’une nouvelle réglementation trop complexe au-dessus du système existant pourrait bien transformer les banques en un cockpit d’un avion condamné. Il est donc urgent, de procéder à une simplification des organisations et plus particulièrement de celle de la finance en évitant d’ajouter comme dans la langue française des exceptions. Sinon, nous nous retrouverons dans la même situation que celle des pilotes du vol AF 447. Relisez leurs dernières paroles (cf. lien en introduction)
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